Le système socio-fiscal actuel modifie les « revenus primaires », à la fois pour financer les dépenses de l’État et pour assurer une redistribution entre les « riches » et les « pauvres ». Il le fait d’une manière très complexe, en insérant des calculs redistributifs un peu partout : cotisations sociales, impôt sur le revenu (IR), taxes d’habitation et foncières, prestations familiales, RSA ou ASS, prime d’activité, aides au logement, tarifs sociaux…
Instaurer un revenu d’existence (RE), c’est remplacer une partie de ces dispositifs par un mécanisme simple : un socle individuel et inconditionnel, financé principalement par une prélèvement uniforme sur tous les revenus.
On peut imaginer de nombreuses manières de paramétrer un tel revenu d’existence : quel montant ? quelles suppressions ou modifications des dispositifs existants ?
Un outil de simulation prêt à l’emploi
Le tableur que j’ai développé et régulièrement actualisé depuis 2013 permet de tester une infinité de simulations. Il est téléchargeable ici : ChiffrageRB.ods.
Il permet de générer automatiquement de nombreux graphiques, par exemple :
Ce graphique présente des couples monoactifs, sans autres revenus qu’un salaire, ayant trois enfants de 6 à 13 ans, propriétaires, ne profitant d’aucune niche fiscale. Le revenu d’existence simulé (en bleu) est de 498 € par adulte et de 200 € par enfant. La taxe d’habitation, en cours de suppression, n’est pas prise en compte. Les cotisations sociales contributives (retraite, chômage) sont maintenues identiques. Les cotisations non contributives actuelles (37 % du salaire brut) deviennent 62 % pour financer le RE. L’IR est supprimé.
Il n’y a pas de miracle : le passage au RE ne peut évidemment pas modifier le revenu disponible médian (ici environ 4000 €). Les deux courbes étant voisines, l’équilibre budgétaire de l’État est sensiblement inchangé. Pour être plus précis sur ce point, une base de données représentative des foyers serait nécessaire.
Les oscillations de la courbe verte sont le résultat de la superposition historique de multiples décisions, produisant un total truffé d’effets de seuils et de « trappes » (à pauvreté, à bas salaires…). Plus personne ne maîtrise l’ensemble, la complexité et les coûts de gestion ne cessent de s’accroître avec de nouvelles rustines censées corriger les défauts des décisions précédentes. L’objectif majeur du RE en France apparaît clairement : sortir de cette impasse.
Au vu d’un tel graphique, la discussion sur le niveau du RE est simple : si on le majore, la ponction de 62 % sur les revenus primaires, moyenne de ce que l’on constate aujourd’hui, doit augmenter pour préserver l’équilibre budgétaire. L’incitation à travailler (ou à déclarer des revenus) diminue.
Ce que le tableur est capable ou non de prendre en compte
Généralités
- Les différentes notions de ménage / famille / foyer ne sont pas distinguées. Il est proposé de passer à une seule notion : les occupants d’une même résidence principale.
- Les aides relatives à des cas particuliers (handicap, bourses, gardes d’enfants…) ne sont pas prises en compte.
- Le cas complexe des 18-25 ans n’est pas traité.
Onglet Famille
- Actif ou chômeur ou retraité (la fiabilité n’est pas assurée pour les ménages mixtes)
- Configuration familiale, âge des enfants
- Revenus de chaque conjoint (une centaine de valeurs en progression arithmétique ou géométrique, définies soit en super-brut, soit en brut, soit en net)
- Patrimoine et revenus financiers
- Logement (propriétaire ou locataire, TH, TF…)
Onglet Param
- Les paramètres utiles pour calculer l’effet des dispositifs sociaux et fiscaux existants
- Effet des niches fiscales (en % de l’IR)
- Estimation de la CMU-C et des aides locales diverses
Onglet ParamRB
- Valeur du RE adulte
- Valeur du RE enfants, selon l’âge
- Valeur du RE « ménage ». Ce paramètre est nécessaire si l’on envisage que le RE remplace aussi les APL. Il est aussi utile si l’on souhaite maintenir une différence entre deux célibataires et un couple (individualisation incomplète au démarrage du RE).
- Majoration si les aides diverses soumises à condition de ressources sont supprimées.
- Paramétrage du nouvel IR (ou suppression)
Onglets Mens
- Calculs permettant de passer du « superbrut » au « revenu disponible » pour chacune des 100 valeurs de revenus (100 colonnes et 80 lignes de chiffres).
- Les onglets Mens1 (conjoint 1 supposé seul), Mens2 (conjoint 2 supposé seul) et Mens12 (ménage sans les enfants) permettent de calculer, par différences, « l’effet enfant » ou « l’effet mariage ».
Onglet MensRB
- Identique à l’onglet Mens, mais en prenant en compte le RE.
Onglets Graph
- Représentations graphiques, soit live (Graph1), soit figées (Graph2). Elles peuvent porter sur l’existant seul, ou sur ce que produit le RE.
Les points délicats
Coût du RE
- On a cité l’individualisation. Le RSA couple est aujourd’hui égal à 1,43 x RSA individuel. Passer à un ratio égal à 2 (hors APL) est simple justice, mais c’est onéreux.
- Aligner les 18-25 ans sur les adultes est également onéreux.
- Le coût de la baisse des non-recours est difficile à chiffrer.
- Le premier enfant sera aidé autant que les suivants.
Il semble raisonnable de paramétrer le RE de manière à maintenir constant le niveau de vie d’un célibataire médian (soit 1,6 SMIC). Une baisse modérée du niveau de vie des plus aisés financera un gain pour les oubliés du système actuel.
Suppression des réductions de cotisations sociales
Les fortes réductions de cotisations sur les bas salaires (réduction Fillon, CICE, réduction de la cotisation AF) ont des conséquences désastreuses :
- Complexité, non-linéarité, effets de seuils
- Incitation à « optimiser » le temps de travail déclaré (cas des temps partiels)
- Trappe à bas salaire. Quel employeur raisonnable dépenserait 100 € pour que son employé au SMIC ne gagne au final que 10 ou 20 € de plus ?
- Ajout de rustines malsaines (telles que heures supplémentaires défiscalisées) pour contourner l’obstacle.
Le tableur supprime ces réductions (en les intégrant dans le RE). Un célibataire au SMIC, « trop » aidé aujourd’hui, pourrait être légèrement perdant dans un passage à un système linéaire.
Maintien du super-brut
Le tableur est conçu pour que le coût employeur (superbrut) reste inchangé.
Comme la relation entre superbrut et brut n’est pas linéaire, du fait des réductions de cotisations qui viennent d’être citées, un profond remaniement est nécessaire :
- Le super-brut reste constant
- Les cotisations patronales deviennent les cotisations contributives
- Le brut n’est plus le même
- Les cotisations salariales deviennent les cotisations non contributives, estimées comme étant les cotisations applicables aujourd’hui au-delà de 8 PMSS. Elles sont majorées d’une « CSGbis » finançant le RE.
- Le net n’est plus le même
La difficulté augmente quand on ajoute le cas des salariés ne bénéficiant pas des réductions de cotisations patronales (fonctionnaires, employés de maison, retraités, chômeurs…). Pour une raison de justice évidente, leur brut doit évoluer comme si leur employeur bénéficiait de ces réductions.
Cette transition est modélisée, mais elle est difficile à comprendre et expliquer.
Devenir du SMIC
Ce qui vient d’être dit rend les taux de cotisations identiques pour tous, et indépendants du salaire horaire. Le net versé par l’employeur suffit pour calculer les cotisations. L’État (fiscal) n’a plus à connaître la durée travaillée, qui est souvent non mesurable.
La logique, c’est que ce barème unique soit appliqué à toute forme d’avantage (heure supplémentaire, prime…).
On arrive là à une énorme simplification de la fonction paye. Les économies de gestion (État + entreprises) pourraient représenter 1 % des salaires, soit 10 milliards par an.
La conséquence, c’est que le SMIC horaire est bousculé. Il deviendrait légal de verser un salaire de 500 € par mois, sans avoir à le justifier par une durée travaillée. Non seulement la trappe à bas salaire (difficulté d’augmenter les smicards) disparaît, mais également la trappe à pauvreté (le « mur du SMIC » trop élevé pour trouver un emploi). Les dispositifs pour aider les jeunes à entrer dans le monde professionnel (contournement du SMIC) n’ont plus de raison d’être.
Les abus seraient sans doute limités : un employeur ne trouverait pas de main d’œuvre pour un supplément de salaire insuffisant.
Intégrer l’aide au logement au RE ?
Le tableur permet de tester cette hypothèse. Voici une simulation dans le cas simple d’un célibataire locataire. Un RE de 902 € remplace le RSA, la PA, l’APL, la CMU-C, le chèque énergie et les aides locales diverses. La CSGbis passe de 25 % (1er graphique) à 36,4 %.
Un tel scénario demande une réflexion approfondie avant de pouvoir être jugé crédible. Il faut traiter le cas des propriétaires (compenser le RE élevé par une taxe foncière majorée ?). Il faut veiller à ne pas augmenter les loyers impayés (en contrevenant au principe d’un RE inaliénable ?). Il faut traiter le cas des bénéficiaires d’un loyer modéré (HLM)…
Mais la seule courbe verte est instructive. Elle représente l’intérêt financier réel, (presque) tous dispositifs confondus, à travailler plus. Il est beaucoup plus faible que ce que les discours sur la prime d’activité laissent entendre. Et l’angoisse générée par un système incompréhensible (vais-je perdre la CMU-C si je déclare plus ?…) est une forte incitation à ne plus bouger une fois obtenues quelques aides.
Léon Régent – Mars 2019